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[BLOG] Entrevue avec Annie St-Pierre – LES GRANDES CLAQUES

Comme quoi Noël n’est pas encore tout à fait terminé chez Post-Moderne! Habité par la frénésie des soupers des fêtes, celle de l’excitation infinie des enfants et de l’exaspération des parents, le nouveau court métrage d’Annie St-Pierre Les grandes claques ne manque pas de raviver cette flamme nostalgique des réunions familiales. Cette comédie douce-amère, première oeuvre de fiction de la cinéaste, a réussi à se tailler une place dans la compétition des courts métrages de la prochaine édition du festival Sundance, qui se tiendra cette année en ligne du 28 janvier au 3 février.

Après un autre beau projet tout récemment mis à terme, nous avons eu la chance de nous entretenir avec Annie pour une courte entrevue à propos de son film, qui démarre tout juste son parcours de diffusion. Les grandes claques nous met aux côtés de Denis (Steve Laplante), un père séparé qui devra momentanément renouer avec son ancienne belle-famille alors qu’il passe chercher ses enfants (Laurent Lemaire et Lilou Roy-Lanouette), qui eux attendent impatiemment l’arrivée du Père Noël.

Dans Les grandes claques, tu nous introduis à un environnement familier mais aussi très distinct dans ses dynamiques interpersonnelles et familiales. À quel point le Noël de ton film est près de tes propres souvenirs, compte tenu du fait que tu situes le récit au début des années ’80?

Le terme « auto-fiction » répond mieux à ma démarche que « récit autobiographique ». J’ai été inspirée par des émotions déjà vécues, des ambiances connues, des sensations, mais je n’ai pas vécu les situations telles qu’elles sont exposées dans le film. Le cinéma est certainement la forme d’art qui se rapproche le plus de la mémoire; il fait ressortir quelques souvenirs vifs et intacts, souvent émotifs, et réinvente ce qui les entoure.

Et que dire de ces jeunes comédiens, tellement naturels, désarmants. Comment s’est passé ce saut du documentaire à la fiction par rapport à ta manière de diriger les gens qui se trouvent devant ta caméra?

J’avais plus d’excitation que d’angoisse devant la responsabilité de diriger des acteurs. Probablement parce que j’ai l’habitude de ne pas pouvoir contrôler une grande partie de ce qui se passe devant la caméra en documentaire, j’attendais ce moment avec beaucoup d’enthousiasme. Pouvoir choisir non seulement le cadre de ce qu’on filme, mais aussi les dialogues, la mise en scène, la direction artistique et surtout pouvoir dire « On la refait! », exige de tourner avec plus de précision, mais donne des possibilités incroyables. Et une fois l’étape déterminante du casting conclu, une bonne partie du processus d’incarnation des personnages est faite. Le reste est un travail de collaboration fluide: tout le monde se prête à la vision du réalisateur(e) dans un cadre professionnel. Alors qu’en documentaire, on ne peut pas imposer d’horaire ou d’exigence de performer à ses sujets; on est dans une toute autre approche qui repose souvent sur une éthique personnelle: Jusqu’où je peux les exposer? Que comprennent-ils de ce que je suis en train de faire? Les deux me plaisent et les deux répondent à ma quête de langage cinématographique; j’ai besoin des deux. 

Côté technique, du choix de l’équipement de tournage à la postproduction, pourrais-tu nous parler des choix créatifs qui ont été faits pour vraiment recréer ces Noëls d’antan, tout en apportant une certaine dose de fantaisie à l’ensemble?

J’avais bien sûr initialement espéré tourner en pellicule, mais le budget, après avoir été évalué de tous les côtés, ne nous le permettait clairement pas. Etienne Roussy (le directeur photo) et moi avons donc fait plusieurs tests avec Danny Taillon au département caméra de Post-Moderne pour trouver une texture, un look et des outils qui nous donneraient la possibilité de ne pas renoncer à ce que j’avais en tête: un « look » 35 mm du début des années ’80. Nous avons finalement arrêté notre choix sur la Alexa mini, sachant que nous allions beaucoup travailler à l’épaule avec les enfants et nous avons mis toute notre attention sur le choix des lentilles: des Neo Super Balthar, parfois utilisées avec filtres Black pro mist. Nous avons été particulièrement obsessifs avec les « bokeh » (la forme des petits ronds lumineux crées par les lumières) parce que je voulais multiplier les petites lumières de Noël dans le givre et la buée. Je souhaitais aussi avoir un zoom puissant et régulier pour quelques scènes et au-delà de toute espérance, Danny a su nous trouver un Angenieux HR 25-250 mm; un rêve! 

Puis en post-production nous avons eu l’apport du talentueux Julien Alix à la colo qui nous a aussi aidé à trouver la bonne recette de grain pour la texture finale. Quelques effets ont aussi été ajoutés par Annaël Beauchemin, dont une plaque de glace/neige pour la scène finale qui nous a épargné des heures investies en infinis « reset » si nous avions dû la faire au tournage. En somme, mes choix créatifs et ma vision cinématographique ont été soutenus tout au long du processus par la généreuse participation de Post-Moderne, mes  précieux collaborateurs depuis le début de ma carrière. 

Circonstances actuelles obligent, les façons de faire des cinéastes par rapport aux conditions de tournage seront profondément chamboulées pour les années à venir. Comment sens-tu que les nouvelles procédures influenceront ton travail? Y vois-tu du positif à en tirer malgré tout?

Le propre des créateurs est d’inventer leur propre façon de faire; je pense que la pandémie ne fait que nous le rappeler. Personnellement, je trouve toujours de l’inspiration dans la contrainte. Il y aura certainement des idées de films à repousser à plus tard, mais d’autres qui naîtront naturellement de ces nouvelles conditions. Par contre, ce qui est insoutenable, c’est la fermeture des salles de cinéma, des musées et des théâtres. En interdisant l’accès à la culture (sans avoir prouvé que la fréquentation de ses lieux de diffusion avait entraîné de nouveaux cas de contagion), l’état nuit considérablement à l’industrie, à la communauté artistique et à la relation qu’elle entretient avec le public, qui elles, se réinventent moins facilement que l’artiste indépendant.  

Les grandes claques

Scénario et réalisation: Annie St-Pierre
Production: Fanny Drew & Sarah Mannering (Colonelle Films)
Direction photo: Etienne Roussy
Montage: Myriam Magassouba
Son: Marie-Pierre Grenier
Étalonnage: Julien Alix
Montage Online: Annaël Beauchemin

Benjamin Pelletier